– Dans le soufisme, l’importance de quitter le monde est soulignée. Selon vous, quelle devrait être notre perspective sur le monde ?
Cher frère,
Ce renoncement n’est assurément pas du côté de l’acquisition, mais du côté du cœur. (1) L’homme, dont la nature est à la fois matière et esprit, ne doit pas être esclave de la matière. Car la matière ne peut servir que l’esprit. Un homme doit gagner de l’argent, mais il doit le mettre dans sa caisse, non dans son cœur, et servir l’Islam avec cet argent. Pour reprendre la métaphore de Mevlana,
(2)
Le monde exerce une force d’attraction. Ceux qui ne peuvent pas se libérer de cette attraction ne peuvent pas s’élever vers le ciel de la vérité. Ils restent ancrés au sol. Ils s’enlisent dans la matière. Ils se perdent dans les choses matérielles. Pourtant, le monde est le champ de l’au-delà (3). C’est un marché ambulant. C’est une auberge (4).
Les gens de Karoun, qui s’était laissé prendre au piège de la richesse et de la splendeur du monde, lui rappellent ce qui suit :
Concernant la part qui nous revient dans ce monde, Hamdi Yazır fait la déclaration suivante :
« Ce que certains ont voulu comprendre, c’est que cela signifie le monde temporel lui-même. Le véritable héritage de ce monde est, en réalité, le bien acquis pour l’au-delà, c’est-à-dire les actes qui resteront pour l’au-delà. Sinon, l’héritage de ce monde n’est finalement qu’un linceul. » (7)
L’idée de certains soufis de quitter le monde est une interprétation personnelle, et non un principe fondamental du soufisme (8). Le véritable art consiste à considérer le monde comme un champ de l’au-delà, à le cultiver, à voir les créatures comme des miroirs des noms divins et à les contempler avec amour.
Le monde dans lequel nous vivons, d’un côté (9), et de l’autre, Rumi décrit cet aspect du monde comme suit :
Mais ce magasin et ces achats ne servent à rien d’autre qu’à passer le temps. Le soir venu, l’enfant qui a ouvert le magasin rentre chez lui affamé. Ce monde est comme un terrain de jeu pour les enfants. Le soir est synonyme de mort. » (10)
D’un autre point de vue, le monde est un rêve et un songe, et ce verset le décrit.(11)
Les statuts, la richesse et autres biens terrestres sont éphémères et n’ont donc aucune valeur. Ces moyens ne prennent de sens que s’ils sont utilisés pour la voie d’Allah. Sinon, ils ne différeront en rien des statuts et de la richesse vus dans un rêve.
Mevlana compare cela à ceci : lorsque les fruits mûrissent, ce lien se lâche et il n’est pas difficile pour ce fruit de se détacher de l’arbre. En effet, les personnes parfaites n’ont pas peur de quitter ce monde, elles l’aiment même. Après une vie difficile, le prophète Joseph (as), qui est devenu le vizir d’Égypte, fait cette prière pour demander à se détacher de l’arbre du monde :
(d’après l’interprétation des rêves)
Ils doivent devenir des personnes libérées de la servitude du monde. Plus le statut social et la réputation augmentent, plus l’attrait du monde est grand. Dans la même mesure, il devient plus difficile de se libérer de son emprise. Cet événement le montre bien.
Un souverain demanda à un grand spirituel :
dit. Cet homme spirituel,
dit. Le souverain, stupéfait,
À cette question, le grand spirituel répond :
Cette vie terrestre est un capital donné pour gagner le bonheur éternel. Les vingt-quatre heures d’une journée valent plus que vingt-quatre pièces d’or. Cependant, il est vrai que beaucoup de gens ne connaissent pas la valeur de leur vie et la gaspillent en choses inutiles. À ce propos, il ne faut pas oublier le conseil de Hafiz de Shiraz :
1. Voir Mahir İz, Tasavvuf, p. 42.
2. Mevlana, I, 76.
3. Aclûnî, Keşfu’l-Hafa, I, 412.
4. Nursi, Sözler, p. 188.
5. Muslim, Zühd, 1 ; Tirmizi, Zühd, 16 ; Ibn Majah, Zühd, 3.
6. Nursi, Lem’alar, p. 46.
7. Hamdi Yazır, Le Langage du Coran, Religion de l’Honneur, V, 3755.
8. Ahmed b. Hanbal, Musnad, V1, 226.
9. Aclunî, 1, 412.
10. Rumi, VIII, 796-797.
11. Aclunî, II, 312. Ce dicton est attribué à Ali.
Avec mes salutations et mes prières…
L’Islam à travers les questions